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Billet de blog 16 février 2015

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Voleurs de poubelles et sans-abri

Les révoltés du Discount, les "voleurs" de poubelles, les sans-abri d'hier et d'aujourd'hui, les bancs interdits, les logements vacants, les cafés suspendus. Et en prime, un raton laveur : est-ce le Soleil ou la Lune qui tourne autour de la Terre (Qui veut gagner des millions) ?

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Les révoltés du Discount, les "voleurs" de poubelles, les sans-abri d'hier et d'aujourd'hui, les bancs interdits, les logements vacants, les cafés suspendus. Et en prime, un raton laveur : est-ce le Soleil ou la Lune qui tourne autour de la Terre (Qui veut gagner des millions) ?

Social en vrac n°39

Les "voleurs" de poubelles

Trois jeunes squatters, qui s'étaient servis dans les poubelles d'un supermarché de Frontignan, ont été condamnés, début février par le tribunal correctionnel de Montpellier. Les dates de vente était dépassées du jour même. La Dépêche a rapporté les propos des contrevenants : "Ce jour-là, c'était juste énorme ce qu'on a découvert : des fraises et aussi du fromage de riche qu'on ne peut pas s'offrir, du chèvre particulièrement moelleux". Le Parquet a estimé qu'il y avait infraction puisqu'ils avaient pénétré à l'intérieur du domaine du supermarché. Il aurait été plus simple de demander la permission au directeur, leur a-t-il dit ! Leur avocat a plaidé l'état de nécessité et le fait que ces aliments n'avaient plus de valeur marchande, même s'ils étaient encore consommables. Les magistrats, gênés, ont condamné mais avec dispense de peine.

Bien sûr, ce genre d'histoire conduit certains à souhaiter que les invendus de la grande distribution (chaque année, 2,3 millions de tonnes de produits frais, de légumes, de fruits) soient obligatoirement rétrocédés à des associations d'aide aux plus démunis. Une proposition  de loi devrait être présentée fin mars à l'Assemblée nationale après la publication d'un rapport du député PS Guillaume Garot. D'autres, à s'indigner que l'on puisse ainsi envisager de nourrir les plus pauvres avec des denrées de mauvaise qualité (issues de l'agriculture intensive par exemple) ou atteintes par la péremption.

Dans tous les cas, la question du gaspillage est posée, que ce soit celle des magasins ou celle des Français eux-mêmes (20 kg par an et par foyer).

 José Bové et Jjmu ont abordé ce sujet sur leur blog respectif sur Mediapart.

Site : http://lesgarspilleurs.org/

Distribution gratuite de nourriture dans les rues de Lyon par les Gars'pilleurs, après avoir fouillé les poubelles des supermarchés [capture d'écran FranceInfoTv, montage YF]

Discount

Cette question du gaspillage, face aux conditions de vie des précaires, est au cœur du film Discount, premier film de Louis-Julien Petit. Des salariés d'un supermarché, dont certains sont menacés de licenciement, décident de récupérer les invendus, et de les revendre en cachette, en créant dans une grange un véritable discount, où, complice, une foule vient acheter les produits à prix cassés sans se préoccuper de leur provenance. Ces employés sont d'autant plus déterminés que leur travail consiste régulièrement à devoir arroser de javel les barquettes de viande. Ils se posent les mêmes questions que j'ai évoquées plus haut. L'un dit : " Il faut aussi qu'on propose des produits frais, des fruits et des légumes. Pourquoi les pauvres mangeraient-ils forcément de la merde ?"

 Corinne Masiero, qui jouait déjà un beau rôle dans Louise Wimmer, à la tête de cette révolte, lance : "Voler les voleurs, ce n'est pas voler". On assiste à la fraternité de ceux qui galèrent, mais aussi aux rivalités, jalousies, suspicions.

 Peut-être pour ne pas faire manichéen, le réalisateur nous montre une patronne de supermarché, sans trop de scrupules, issue de l'immigration, et le jeune homme qui est chargé de faire régner l'ordre, en roulant des mécaniques, face à tous ces resquilleurs, malgré costume et cravate, surjoue le p'tit gars des quartiers au langage approximatif. Bizarre. Quant au co-producteur du film, Marc Ladreyt de Lacharrière, c'est le PDG de l'agence de notation Fitch Ratings, présenté par M, le magazinedu Monde, il y a quelques jours comme "le nouveau roi du show-bizNet", 44ème fortune de France avec 1,5 milliard d'euros, grâce à des reventes de sociétés avec plus-values faramineuses. Il possède la Revue des Deux-Mondes, de droite, est ami avec Alain Minc, aussi, préside la Fondation Culture & Diversité et vient en banlieue, bras dessus, bras dessous, avec François Hollande, soutenir les concours d'interprétation théâtrale organisés par Djamel (au passage, son agence dégrade gentiment la note de la France). Evidemment, il explique sa générosité par ses origines aristocratiques "modestes". Il déclare : "On ne peut être dans le pouvoir économique sans prendre le pouvoir du cœur" (sortez vos mouchoirs). A-t-il produit Discount pour élargir le champ de son mécénat, lui qui finance la restauration du clocher de son village ? Et qui suprême preuve de sa frugalité, nous dit M : il "n'a pas de yacht".

Actualité de "Jack London et George Orwell chez les sans abri"

C'est sous ce titre que Julien Damon, sociologue, qui à l'époque était chargé de mission "solidarité " à la SNCF, a publié un texte dans la revue Etudes, en novembre 1995, faisant le lien entre les écrits que ces deux écrivains ont produit sur leurs expériences dans les bas-fonds de Londres. Je ressors son article ancien, qui reste aujourd'hui tout aussi passionnant.

 Jack London constatait que "l'homme qui sonne à la porte d'un hospice pour y passer la nuit s'apprête à être exploité". Soit il doit payer, soit il doit casser six cents kilos de pierre : " C'est une exploitation inqualifiable, faite sur le dos d'innocents. De la part des autorités, c'est un vol manifeste : elles  donnent à ces pauvres bougres un salaire bien inférieur à celui que leur donneraient les employeurs capitalistes".

 Et en plus l'Armée du Salut les nourrit à la seule condition qu'ils acceptent d'assister à la messe, alors que souligne London : "ils n'étaient absolument pas intéressés par leur salut dans un monde meilleur, mais attendaient la boustifaille impatiemment dans celui-ci". Sans nier la sincérité des âmes charitables, il conteste l'efficacité de leur approche moralisante, comme les prêches contre l'alcoolisme, qui s'attaquent aux effets et non aux causes de ce "cortège de misères".  

 A l'époque (1902), un quart des adultes londoniens meurt à l'hospice ou à l'asile. 21 % de la population dépend, pour survivre, des œuvres de charité. Londres compte 35 000 sans-abri. London utilise, déjà, le terme de "ghetto" pour désigner l'East End, qui est un immense taudis.

Romancier, ethnologue, il livre son analyse économique de la situation : s'il y a du chômage, c'est dû à la baisse générale des salaires et au fait qu'"il y a plus d'hommes pour faire le travail qu'il n'y a de travail à faire". Du coup "la sélection" joue aussitôt : seuls les plus aptes sont recrutés, et l'industrie refuse les moins compétents qui "se laissent entraîner au fond de l'abîme, cette sorte d'abattoir où ils finissent misérablement". Ils n'ont plus qu'à mourir.

 London le dit avec un cynisme feint : " Ces hommes des asiles, des soupes populaires et de la rue ne servent strictement à rien. Ils ne  sont d'aucune utilité, ni pour les autres, ni pour eux-mêmes. Ils encombrent le monde de leur présence, et seraient bien mieux s'ils n'existaient plus. Détruits par les privations,  mal nourris,  ils sont toujours les premiers à être anéantis par la maladie, et sont aussi les plus rapides à en  mourir."(1)

 Non seulement, ce rappel de Julien Damon est précieux, mais en plus il choisit les extraits du livre qui résonnent avec notre temps présent. Il écrit : "les simples concordances terminologiques entre les situations des sans-abri à Londres au début du siècle et à Paris en fin de siècle sont troublantes".

 Trente ans plus tard, c'est George Orwell, qui décrit les mêmes quartiers de Londres, et aussi ceux de Paris. Il s'en prend aux stéréotypes à l'encontre des mendiants. Il s'insurge contre l'idée que le mendiant ne "travaille" pas. Dans une société qui voue un culte à l'argent, le comportement du mendiant n'est, certes, pas convenable, mais son activité est un travail, "certainement plus respectable d'ailleurs que celui d'un banquier véreux ou d'un journaliste malhonnête", résume Julien Damon, qui trouve que ces propos sont bien d'actualité. C'était vrai il y a vingt ans, et c'est encore vrai aujourd'hui. N'est-ce pas UBS, ou HSBC ?

 Et de constater aussi que déjà tout était fait pour que le mendiant ne puisse s'asseoir dans la ville. Comme aujourd'hui. Et de même, à l'époque, Orwell constate qu'ils sont dix hommes pour une femme. Il en était de même en 1994. Or aujourd'hui, ce qui en dit long sur l'impact exponentiel de la crise économique sur les couches populaires : 4 SDF sur 10 sont des femmes, et parfois avec enfants.

Jack London, Le peuple de l'abîme (UGE, coll. 10-18) ou Le Peuple d'en bas, chez Phebus libretto.

George Orwell, Dans la dèche à Paris et à Londres (Champ libre).

Lien avec l'article de Julien Damon : http://eclairs.fr/wp-content/uploads/2015/01/1995ORWELLLONDONSANSABRI.pdf

_____

(1) Cette phrase nous renvoie à cette ordonnance royale française à propos des errants, dénichée par le grand historien polonais, Bronislaw Geremek : "Sunt pondus inutile terrae" (ils sont le poids inutile de la terre).

Pas lieu d'être

Philippe Lignières, dans son film Pas lieu d'être (2003), fut un des premiers à montrer comment tout est fait pour empêcher les SDF à stationner sur des bancs : barres les empêchant de dormir, arrosage le matin tôt pour les déloger. Il évoquait un "urbanisme de la non-assistance" qui s'organise au nom de l'hygiène et de la sécurité.

 [documents 20 minutes, montage YF]

Depuis, on a assisté à bien des aménagements pour rendre la vie plus dure aux mendiants ou sans-abri. Soit, le plus radical, supprimer les bancs, soit faire en sorte qu'il ne leur soit pas possible de s'y coucher. Mais, il faut bien le dire, ils ont plus d'un tour dans leur sac.

 [site Le Parisien]

 Et bien sûr, le clou, ce fut Angoulême : des bancs carrément grillagés !

Trois fois plus de logements vides que de SDF en Europe

Il y a un an , une étude a montré que l'Union européenne compte 4,1 millions de sans-abri. Et 11 millions de logements vacants (selon The Guardian) dont 2,4 millions en France. Certes, la conversion entre logement vacant et SDF logé n'est pas si simple, mais cela donne tout de même à réfléchir (voir L'Express, ici).

 Rue89 a mis en ligne une carte permettant, de façon interactive, de repérer le nombre de logements vacants par communes, sur toute la France (ici).

Cafés suspendus

 Une pratique généreuse se répand, paraît-il : le café suspendu. Ce serait une idée apparue à Naples, qui ferait tâche d'huile, si l'on peut dire. Elle consiste pour les consommateurs, de payer non seulement leur café, mais un ou deux de plus (qu'on appelle "suspendus"), afin que le barman puisse les offrir à un client démuni, un SDF par exemple. Et celui-ci entre dans le café en demandant s'il y a un café "suspendu" pour lui. En certains lieux, ce sont des repas qui sont ainsi offerts. Ailleurs, on peut constater que des bistrots autorisent des sans-abri à venir recharger leur téléphone portable. Bien sûr, ce n'est pas la révolution, mais des petites  marques d'humanité.

Pour détendre la stratosphère : la vérité des sondages

 On ne cesse de nous imposer des sondages, qui seraient parole de vérité. Certains d'entre eux font froid dans le dos. Lors de l'émission Qui veut gagner des millions, Jean-Pierre Foucault demandait à un candidat : "Qu'est-ce qui gravite autour de la Terre : la Lune, le Soleil, Mars ou Vénus ?" Longue hésitation du candidat. Ne trouvant pas la réponse, il fait appel à la salle qui lui propose majoritairement le Soleil, à 56 % (contre 42 pour la Lune). Comme quoi être majoritaire n'est pas forcément glorieux.

 Billet n°177

Billets récemment mis en ligne sur Social en question :

Quand l'austérité tue

Spartacus et Cassandra

Le Prix à payer

Inégalités sociales : nouvelles du front (Social en vrac n° 37)

Pardonnez-nous notre silence (à l'occasion du 70ème anniversaire de la libération d'Auschwitz)

Lutter contre la "séparation" sociale

Appel à la fraternité

Contact : yves.faucoup.mediapart@sfr.fr

@YvesFaucoup

  [Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Voir présentation dans billet n°100. L’ensemble des billets est consultable en cliquant sur le nom du blog, en titre ou ici : Social en question]

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